Entrevue entre un Sage et une Quête

[Une balade de 72km et 3200m de dénivelé positif dans le Jura. La Transjutrail. Ma première vraie longue distance. 8 heures d’effort. Une chaleur moite. 300 coureurs. 1ère féminine, 5ème au scratch mixte. Introspection. Le temps. L’effort. Le sens. La confiance. Le doute. La liberté]

De la plupart retiendra cette image, l’arrivée, tout sourire, le regard victorieux, le corps fier…

« Sont-ils complètement fous ? pensent les badauds.

–     Fichtre ! Oui ! 

–     Qu’y-a-t-il de plus fous ?

–     Bien des choses mon ami… 

–     Que venais-tu chercher dans cette contrée ?

–     Cueillir les lauriers !

–     Vanité !

–     Oui je le sais.

–     Baliverne !

–     Conquérir le cœur d’une Damoiselle.

–     Mais encore, à qui appartient ce cœur ?

–     A moi vieux Sage. Je vais te conter la ballade de cette Quête. 

1. Le temps 

Il était une fois… La Quête.

Un jour la Quête décida de faire un long voyage, une expédition, à la découverte de territoires inconnus. La Quête voulait toujours courir deux lièvres à la fois. « Courir après le temps promet monts et merveilles » disait-elle à qui voulait l’entendre. Cela levait bien des lièvres, mais elle ne s’en souciait guère, bien au contraire ! Monter une affaire, traverser la montagne, se lever à l’aube, aller à la brune. « Point question d’être une tortue ! Je serai un lièvre de compétition ! » Elle courait sans cesse, sans réfléchir, se précipitant, bondissant, provoquant.

 Trop vite, ce lièvre s’épuisa…Dame ! Tantôt pressé, tantôt stressé, souvent épuisé.

« As-tu déjà écouté le rythme de ton cœur ? As-tu appris à danser sous la pluie ? Sais-tu qu’une tortue vie en moyenne 80 ans ?

–         Quel rapport vieux fou !

–         Ne comprends-tu donc pas ? se fâcha le Sage. Qu’il n’y a point de temps perdu, il n’y a que du temps vécu ! Le voyage est long et dru. Au bout du voyage, au-delà les cimes, par-delà les vents, au gré de tes efforts, tu cueilleras tes lauriers. Rien ne sert de courir ; il faut partir à point (1)

2. L’effort et le sens 

V’la la mouche qui l’a encore piquée ? Après quoi cours-tu encore, Quête ? 

–         Qui donc est assez fou pour se faire souffrir (2) sans qu’on le lui demande ? se demandait la Quête.

–         Celui à qui la vie veut plaire, répondit le Sage.

–         Jusqu’à quel sacrifice doit-on aller ?

–         Sacrifice ? Il n’y a nul bonheur sans labeur, certes. Mais dans le sacrifice, ta quête ne durera point. Un sacrifice est une douleur, de ton corps, de ta tête, de tout ton être. Penses-tu arriver au bout de cette façon ?

La Quête ne comprenait pas. Elle était prête à tout donner pour réussir ce qu’elle avait entrepris. Mais dans quelle limite ? Les murmures d’une réponse lui chuchotaient à l’oreille. Elle commençait à comprendre. Des sacrifices résulteraient des frustrations. De ces besoins non écoutés surviendraient la colère, la déception, le manque. De l’ambiguïté de ces émotions ne pouvait mener au chemin de la réussite. Forçoier (3) le destin ne le rend pas meilleur, mon ami. La Quête travaillait les week-ends et les jours fériés, elle ne se permettait pas (4) … au point qu’un jour, elle se perdit. Pourquoi ? Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Le Sage lui sourit : « Le secret, c’est de trouver ton équilibre entre l’effort que tu donnes pour ta Quête et le sens que tu lui trouves. Parfois tu peux accepter un certain déséquilibre. Parfois, seulement. »

La Quête se sentait lourde, chaque jambe portait le poids de ses souffrances. Il lui rester donc à s’alléger.

3. La cohérence

La Quête s’exécuta. Elle se délesta d’abord des sacs les plus lourds. Ce qui l’emmena vers une autre découverte : moins chargée, plus légère, elle entendit ce qu’il se passait à l’intérieur d’elle-même.

Elle se délesta encore, prolongea l’expérience… Les battements de son cœur, timides, légers, s’affirmaient comme le battement des ailes d’une abeille. Puis ces battements se rapprochèrent, ralentirent, leur bruit devint net et reconnaissable. Elle se laissa guider par les différents rythmes des battements de son cœur. Dansant avec les variations libres et imparfaites, accélérant, ralentissant, s’adaptant à l’environnement… Elle ressentit comme une succession de vagues, chaotiques, complexes et simples à la fois. Lentement, prudemment, doucement, les vibrations se transformèrent en ondes, qui se propagèrent d’abord, se percutant, se confrontant. Une sensation d’inconfort malgré la légèreté apparente des premiers instants. La Quête comprit qu’il lui fallait apprendre à faire danser ces ondes ensemble, les emmener dans une mélodie coordonnée où chaque son trouve sa place, en nuances, dans un tempo identique. Ca résonnait en elle…

« Bravo ! s’émerveilla le Sage. Tu as trouvé seule la réponse à cette énigme…

– La cohérence de mes rythmes…un alignement de mon cœur, de mon corps, de mes émotions répondit la Quête.

– Pense à bien accorder tes instruments… souligna le Sage.

4.  La confiance.

Accorder ses violons ne suffisait pas. Dans ce long voyage, la Quête baissa l’oreille maintes fois. Elle trébucha. Se découragea. « Dois-je continuer ? Ce voyage est semé d’embûches, le chemin semblait large mais il est étroit par endroit. » La Quête se livrait aux dangers d’un monde incertain, les prières prononcées avant le départ ne la protégeant guère davantage. Elle éprouva des sensations étranges, dans son ventre, dans ses jambes, dans tout son corps. Et si la Quête n’y arrivait pas ? La Quête découvrit la peur. La peur bousculait ses pensées. Le doute la faisait trébucher. Trop d’obstacles. Trop d’épreuves.

Le Sage intervint : « Sais-tu quel est ton premier obstacle ?

La Quête réfléchit. – Je ne suis pas prête, grand Sage. Est-ce cela la raison ? 

–         Réfléchis mieux… est-ce le chemin qui est dur ? ou ta perception du chemin ?

–         Quelle différence ?

–         Voyons Quête ! qui a décidé de mener ce voyage ?

–         Moi…

–         Alors de quoi doutes-tu ?

–         De moi Grand Sage. Je ne suis pas sûre d’y arriver.

–         Dans ton voyage tu apprendras à te connaître. Dans l’expérience tu découvriras d’autres ressources, plus précieuses. Sur ces ressources tu devras te fier, avec bienveillance, quand le doute reviendra…

La Quête resta pensive. Elle continua son chemin, pas après pas, et rencontra bien des tumultes. Cependant elle appliqua les conseils du vieux fou. Se fier à soi, avec bienveillance. Le chemin s’éclaircit, les brumes se levèrent. Des branches persistaient, elle ne les évitait pas elles les franchissait. La Quête respirait à nouveau. Une sensation de… liberté… Liberté ?

–         Encore bravo, félicita le Sage. Tu as trouvé l’une des clés qui te mènera à ton chemin. Par ce voyage tu gagnes ta liberté. Tu as emprunté le chemin qui te permettra d’apprendre à te connaitre, découvrir qui tu es, aimer qui tu es. Ici et maintenant.

Epilogue

Appréhender cette longue Quête, ce n’est point courir un marathon, c’est courir un ultra-trail : une succession de montées et de descentes, de sentiers larges et de singles escarpés, de paysages magnifiques qui peuvent devenir des terrains hostiles lorsque nos pieds trébuchent…

Notre quotidien professionnel et personnel ressemble bien souvent à cet ultra trail!

Et pour envisager d’aller au bout de ce chemin, avec l’envie de recommencer, vous devrez libérer votre plein potentiel…

(1)  Jean De La Fontaine, Le lièvre et la tortue, 1668.

(2) De l’ancien français « traveillier » : faire souffrir

(3)  Forçoier, v. a., vaincre par la violence ‖ attaquer ‖ forcer, contraindre

(4)  Substantivation de l’ancien verbe loisir, « être permis » (2e moitié du xe siècle), du verbe impersonnel latin licere (« être permis »).

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